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Eloge du jardin

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Comme une souris grise sur le sol de l’allée en gravillon, un Accenteur mouchet sautille tête basse dans l’indifférence générale de notre monde en turbulences. En l’observant avec attention on a toujours l’impression que ce passereau commun des jardins n’est inquiet de rien, ne se préoccupe que de sa discrétion tant dans son plumage que dans son comportement. Les données de baguage montrent que nos nicheurs sont sédentaires mais que des mouvements migratoires ont lieu en mars et en septembre, en faisant finalement un « globe-trotteur en sommeil ». On a apprécié en ces temps d’avoir un jardin comme une richesse devenu un luxe, qui était pourtant un élément normal et logique indissociable du monde rural ancestral. Le jardin est d’autant plus intéressant au niveau biodiversité qu’il est…diversifié et avantageux aussi pour le jardinier. Riche en arbres et arbustes d’espèces locales (et donc fournisseurs de fruits) il devient une part de forêt. Riche en haies d’espèces locales et fruitières, il est un petit sillon de bocage. Une pelouse fleurie, un potager sont autant de micro milieux ouverts comme les landes, les prairies naturelles. Une petite mare creusée péniblement à la bêche et vous voilà avec un marais lilliputien mais bien attirant pour la faune aquatique.  Finalement pour votre intérêt et celui de la faune et de la flore vous avez créé un vrai espace de nature pour tous. Le temps maintenant pour nous étant devenu long et non plus trépidant, vous vous surprenez à regarder une abeille ou un bourdon en train de butiner. Perte de temps, plaisir simplet, diront certains…les mêmes qui se lamentent de la perte de ces pollinisateurs comme un drame économique majeur…Le chant des passereaux anime vos arbres avec le Pinson des arbres ou la Grive musicienne au sommet, la Fauvette à tête noire de retour d’Espagne dans vos groseilliers…Matin et soir ils rythment joyeusement de nouveau vos journées, nous leur prêtons de nouveau attention ! Et eux s’emploient durement à marquer leurs territoires futurs de nidification ! Des organismes scientifiques de renom travaillent maintenant sur ces chants, qui sont de véritables signatures individuelles uniques reconnus par chaque individu. Le Rouge-gorge est notamment un « client » particulièrement intéressant pour la science technologique avec l’extrême diversité de ces notes et le fait que la femelle chante également, cas rare chez les passereaux. Voilà un intérêt fort pour nos futures technologies à commande vocales…encore faut-il savoir « perdre son temps » à écouter chanter un oiseau….

La première hirondelle rustique survole un jardin le 19 mars filant plein nord comme pour annoncer à tous un printemps à venir (n’est pas sa mission ancestrale) …N’oublions pas qu’elle a sûrement plus de 7000 km dans les ailes depuis son site d’hivernage en Afrique centrale…sans carte ni GPS mais avec l’espoir que le bâtiment européen où elle a niché aura encore sa porte d’ouverte ! Une bande de chardonnerets se pose sur votre mangeoire où restent encore quelques graines de tournesol. Tout comme les Verdiers, ou les Pinsons du Nord, ils remontent pour beaucoup vers l’Europe du nord pour nicher et votre modeste jardin devient une escale européenne.

 

L’Homme a toujours été attiré par la nature, source bien entendue nourricière mais pas que…si on en croît nombre de nos légendes, croyances, contes. Des sociologues vantent aujourd’hui les bienfaits de la couleur verte calmante et bienveillante face aux effets de là sur sollicitation urbaine (le rouge excitant est bien rare dans la nature !). Les jardins se multiplient dans les maisons de retraite, écoles, prisons ou au pied des immeubles, on parle même de jardins thérapeutiques… ! Alors que les jardins ouvriers autour des petites villes cèdent ou vont céder la place aux parkings….  Des sociologues se penchent sur les bienfaits apaisants des bruits du village : jeux d’enfants dans la cour de l’école, tracteur qui passe ou meuglements de vaches…ceux actuellement que l’on voit se taire sous nos yeux au nom d’une rentabilité économique qui ne rendra pas service à notre économie humaine durable pour tous. L’Homme est-il toujours amené à détruire pour se rendre compte de ce qu’il a perdu bien au-delà de ce qu’il croyait avoir…

Au-delà des émotions, de la valorisation de la capacité d’agir et de travailler offrant un bien être personnel et de fortes actions sociales de partage, le jardin c’est toujours aussi une belle projection vers le futur bercé par le rythme des saisons ! Demain il faudra penser à planter, à tailler, attendre le premier chant du Coucou gris pas encore arrivé du Congo, échanger les graines promises aux voisins, récolter…On parle même aujourd’hui d’hortithérapie. Ne serait ce pas juste la préparation d’un demain toujours bien meilleur, peut-être, une route vers un monde choisit cette fois-ci pour nous.

P Caruette 24 mars 2020 Crédit photo S. Bouilland