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Période de mue pour les oiseaux

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Et pourtant !

Sur le littoral, c’est la cohue de la grande valse des migrateurs. Avec la baisse de la durée du jour et le départ des petits d’échassiers en Europe du nord, les oiseaux retrouvent nos estuaires nourriciers. Tranquillement, à l’abri de tout dérangement, ils y font d’abord leur toilette et somnolent avant que la mer ne découvre les richesses alimentaires des baies de Somme et d’Authie. Près de la côte, des milliers de sternes survolent les flots de leurs ailes filiformes. Qu’ils soient caugeks, pierregarins ou arctiques, les jeunes suivent leurs parents qui les nourrissent encore quelque peu durant le long voyage. C’est la pleine période de migration aussi pour les goélands bruns venus de Scandinavie. Leur dos noir brillant les fait ressembler à de mini goélands marins. Si des milliers d’oiseaux viennent d’Europe du nord parfois même de Laponie, d’autres ont déjà parcouru des distances bien plus considérables de l’autre côté de l’Europe, tel le bécasseau cocorli, originaire de Sibérie et dont une faible partie de la population survole la France pour gagner les côtes africaines. Certains oiseaux bagués furent retrouvés en Afrique du sud. Pas mal pour un petit échassier de 80g ! Mais les exploits quotidiens des migrateurs ne sont pas des courses de vitesse… La qualité des haltes migratoires est essentielle pour aller jusqu’au bout du périple, notamment pour les juvéniles qui vivent leur premier grand voyage.  Les oiseaux doivent trouver tranquillité et nourriture réparatrice. Cela ne dépend aujourd’hui bien souvent en grande partie que de nous, avec les espaces que nous avons su protéger pour leur et notre avenir.

La chaleur de fin juillet est synonyme de courants d’air chaud. Ces thermiques sont particulièrement favorables à la migration des grands échassiers et des rapaces. Au premier rang, les cigognes noires. Les quatre premiers juvéniles sont observés au Parc du Marquenterre le 21 juillet en vol plein sud est. Finalement trois de ces jeunes dormiront sur le site protégé pour repartir le lendemain vers 10h00 profitant des bons courants d’air chaud. Grâce au marquage coloré que portent certaines cigognes noires, on sait qu’elles nous viennent surtout des Ardennes belges et du nord de l’Allemagne. Ambiance frénétique d’observation chez les visiteurs du site du Conservatoire du littoral devant le pavillon d’accueil. Des dizaines de paires de jumelles et d’yeux se sont braqués vers le ciel. Magique ! La cigogne noire se reconnaît bien à son dessous tout sombre hormis le « cerf-volant » blanc du ventre. Les adultes expérimentés passent bien rarement par la baie de Somme. Ils ne bifurquent pas vers l’ouest, préférant passer au plus court par le centre de la France comme ils l’ont fait et mémorisé en migration de printemps de retour du nord Mali et du Burkina Faso, en passant par Gibraltar et les cols pyrénéens. De rares oiseaux isolés hivernent maintenant en France. Cette euphorie humaine de l’observation de cette espèce s’explique par sa rareté avec environ 12 000 couples en Europe de l’ouest dont 75 en France. 3 à 4 couples nichent en Picardie : dans l’Aisne et depuis peu, peut-être dans les grandes forêts de l’est de l’Oise (Compiègne, Saint Gobain…). A cause du faible nombre de couples sur un même territoire, la productivité en jeunes est forte dans notre pays dépassant souvent 3 jeunes par couple. Curieusement comme pour la cigogne blanche, une petite population isolée niche en Afrique du Sud et au Malawi. La première nidification en France a lieu en 1973, en Indre-et-Loire du fait de l’extension des zones forestières longtemps surexploitées. En effet, l’espèce ne niche quasiment que dans les vieux et vastes massifs forestiers avec un réseau hydrographique proche où elle peut pêcher. L’espace vital d’un couple couvre près de 50 000 hectares autour du nid. Néanmoins, 2couples dans la Nièvre et l’Orne nichent même dans des secteurs bocagers à haies denses, acceptant la présence pacifique des éleveurs bovins. En Espagne et au Portugal, des couples nichent aussi en falaises de moyenne montagne montrant finalement la plasticité de l’oiseau quand il trouve la tranquillité.

Les thermiques sont aussi favorables aux jeunes cigognes blanches locales qui sont nées en Picardie. Elles s’entraînent au vol, maîtrisant de mieux en mieux chaque jour, la technique du plané, l’atterrissage délicat sur le nid ou plus pragmatique, au sol ! Quand on est né à 25 mètres de haut dans un arbre mort ou un pin, tout doit s’apprendre ! L’inné sans le vital apprentissage et la mémorisation n’est que la garantie d’une vie courte. Ainsi les cigognes juvéniles savent se nourrir au sol dès le premier décollage mais doivent apprendre à repérer et identifier les proies. Tout ce qui bouge ne fait pas forcément ventre, surtout si c’est une herbe qui flotte au vent ou une plume ! Le contact de l’eau du marais est aussi nouveau comme celui des nombreuses autres espèces qu’elles vont croiser… Se forger une future vie d’adulte est l’affaire complexe de tous les juvéniles à l’instant présent…

Ph. Carruette 27 juillet 2020 crédit photo V. Caron